LA JURISPRUDENCE DES CESSIONS DE SITES : VERS UN CYBER FONDS DE COMMERCE ?

LA JURISPRUDENCE DES CESSIONS DE SITES : VERS UN CYBER FONDS DE COMMERCE ?

L’apparition du commerce sur Internet a naturellement fait naître un contentieux abondant. Il devrait en être ainsi notamment pour les cessions de site.

Nous étudierons décision symptomatique qui a été publiée sur ce thème. Il s’agit d’un jugement rendu par le TGI de Paris le 10 mai 20001. En l’occurrence, la question à trancher reposait sur la qualité à retenir pour qualifier juridiquement un site marchand.

  1. Rappels des faits

La question a été posée dans la situation d’un recours en responsabilité d’un acquéreur lésé contre son conseil.

La cession devait porter sur un certain nombre d’éléments liés à un site Web de vente en ligne, parmi lesquels : les marques et codes d’accès, la clientèle fidélisée par les marques et les logiciels permettant le fonctionnement du service offert au consommateur.

Il s’agit plus précisément d’une promesse de vente portant sur ces éléments soumise à une levée d’option dans un délai de 6 mois. L’acquéreur avait levé l’option précitée dans le délai convenu mais le cédant refusa de réaliser la promesse.

Pour argumenter son refus devant les tribunaux devant lesquels il avait été assigné par le cessionnaire, il argua que la promesse était nulle et donc caduque en raison de son défaut d’enregistrement. C’est alors que le cessionnaire se retourna contre l’avocat qui n’avait pas effectué les démarches nécessaires à la réalisation de l’acte litigieux.

Pour justifier ses obligations, l’avocat voulut voir trancher le tribunal sur la réalité supposée du fonds de commerce virtuel. En effet, la procédure d’enregistrement est appliquée aux cessions de fonds de commerce, réels ou dématérialisés. Or, si les éléments épars composant le fonds sont vendus séparément, les cessions ne sont pas soumises à la procédure d’enregistrement. En ce cas, l’avocat n’aurait pas failli à son obligation.

L’article 1840 A du Code général des impôts précise en effet que qu’une promesse unilatérale de vente portant sur un fonds de commerce « est nulle et de nul effet… si elle n’est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous seing privé enregistré dans un délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire ».

  1. La composition du fonds de commerce virtuel

Si aucun texte n’appréhende la composition intégrale du fonds de commerce, la loi du 17 mars 1907 relative à la vente et au nantissement des fonds de commerce énumère cependant des éléments divers susceptibles d’en dessiner la consistance. Ainsi, il s’agit d’une universalité de fait in susceptible de faire l’objet d’une cession partielle. Ce principe fut élaboré par la chambre commerciale de la Cour de cassation2.

La doctrine le définit en outre comme « un ensemble de biens mobiliers affectés à l’exploitation d’une entreprise commerciale »3.

En l’occurrence, dans le cas soumis à notre appréciation, tous les éléments nécessaires à la constitution d’un fonds de commerce étaient réunis à l’exception néanmoins de la clientèle. Or, il a été jugé à plusieurs reprises que la clientèle est un élément essentiel du fonds de commerce4.

Toutefois, la cession de la clientèle n’était pas aisée car le vendeur du site ne pouvait maîtriser le trafic qui amenait les clients virtuels vers sa galerie marchande. Effectivement, le cédant était lié contractuellement à France Telecom qui n’avait pas encore agréé la cession. Il ne pouvait donc exister d’autonomie de la clientèle dans l’exploitation du site. Le Tribunal affirme à ce titre : « le trafic était le fruit d’un contrat passé avec France Telecom dont M. Henri de Maublanc [le cessionnaire] n’avait aucunement la maîtrise, et qu’il était conventionnellement prévu, au cas où France Telecom refuserait son agrément, que le transfert serait considéré comme nul et non avenu ; (…) que l’attribution du droit de propriété sur la clientèle était susceptible d’être discutée, de même que l’existence d’un fonds de commerce… ».

Aussi, sans se pencher sur la décision rendue par le TGI de Paris qui ne définit pas le site concerné, il nous est permis de conclure que le fonds de commerce dématérialisé ne diffère pas dans sa composition du fonds de commerce réel. La clientèle reste en l’occurrence un élément essentiel.

Par surcroît, il est désormais admis qu’un site Internet peut avoir sa clientèle propre. En effet, malgré le passage obligé pour le client par un fournisseur d’accès, il se rend volontairement sur le site où il effectuera ses achats. En outre, un site Web peut parfaitement attirer et fidéliser une clientèle car si sa boutique est virtuelle elle ne réalise pas moins des offres et opérations commerciales.

Enfin, si les critères concernant le fonds de commerce sont exigeants, ils offrent au titulaire du fonds les avantages concédés par le décret de 1953 relatif aux baux commerciaux. Ainsi, le propriétaire du fonds de commerce peut-il profiter du droit au renouvellement du bail et de l’indemnité d’éviction. Encore faut-il que le contrat d’hébergement (voir cyber-hôtel) ait été conclu pour une durée d’au moins 9 ans. Il peut également le louer (location-gérance), le vendre, le nantir…


1 TGI Paris, 1e chambre, 1e section, 10 mai 2000, Société Clarisse c/ Société J. Coulon et associés : Juris-Data n°1117944,  JCP Communication Commerce Electronique, octobre 2000.

2 Cass. Com., 26 octobre 1993 : D. 1995

3 BLAISE J.-B., Droit des Affaires, LGDJ, coll. Manuel, 1999, p. 239

4 Cass. Req., 15 février 1937 clientèle est l’élément « sans lequel un fonds ne saurait exister » ; Cass. Com., 16 janvier 1990